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Révolution annoncée dans le contrôle des bâtiments

27 janvier 2020
Par Jean Garon

Une révolution se dessine dans le domaine du contrôle des systèmes électromécaniques des bâtiments. Aux portes de l’intelligence artificielle…

Le domaine du contrôle électromécanique des immeubles a énormément évolué depuis l’invention des automates programmables permettant de moduler automatiquement le fonctionnement des appareils de chauffage, de ventilation, de climatisation et d’éclairage. Une évolution technologique qui ne cesse de s’accélérer pour rendre l’exploitation des bâtiments toujours plus intelligente, notamment pour optimiser en continu leur efficacité énergétique et le confort de leurs occupants.

Et si les contrôles pouvaient dorénavant prévoir à l’avance leurs réglages en prévision des écarts de température des prochaines 24 ou 48 heures? Ou encore prévoir l’arrivée à la fin de vie utile de telle ou telle pièce d’équipement pour éviter une panne ou des dommages à d’autres équipements ou un dérèglement du système? Non, ce n’est pas de la fiction.

« Les systèmes de contrôle centraux d’aujourd’hui peuvent être programmés pour de nombreuses séquences de contrôle afin d’assurer le bon fonctionnement des équipements mécaniques, observe Étienne Saloux, chercheur scientifique à Ressources naturelles Canada (RNCan). Avec l’avancement des technologies, on parvient maintenant à obtenir plus d’informations sur les contrôles, notamment sur des températures, des pressions, des débits, des relevés de capteurs de CO2, des ouvertures de valves, des modes d’opération, des puissances électriques... »

Tout ça contribue évidemment à complexifier les contrôles, et c’est loin d’être fini. « Les outils qui ont été développés ces dernières années, indique Étienne Saloux, portent principalement sur la détection de fautes ou les outils de diagnostic. Actuellement, la tendance converge vers la capacité de prédire le comportement énergétique des bâtiments. Là, on entre dans le contrôle prédictif. Au lieu de réagir aux perturbations des systèmes, on essaie d’anticiper les changements pour ajuster l’opération et optimiser les performances. » Le réchauffement d’un bâtiment à l’avance basé sur les prévisions météorologiques d’Environnement Canada, selon les régions, en est un exemple.

Quant à savoir ce qu’ajouterait le contrôle prédictif, le chercheur préfère demeurer prudent et réaliste : « Le contrôle prédictif de l’opération des bâtiments, pour l’instant, est l’objet de beaucoup de travaux théoriques en recherche. Il y a beaucoup d’applications possibles, mais il y a peu d’implantations. Ce n’est pas quelque chose de complètement développé. » Étienne Saloux souhaite que cela permette, entre autres, d’élaborer différents scénarios pour optimiser la performance des systèmes de contrôle, comme minimiser la consommation d’énergie.

Leçon de contrôle 101

En matière de système de contrôle mécanique, il existe aujourd’hui une grande variété d’options qui s’offre aux propriétaires et exploitants d’immeubles. « D’un point de vue strictement d’optimisation, c’est sûr que plus il y a d’options, plus il y a de la flexibilité dans un système de contrôle et plus celui-ci pourra être adapté à l’évolution des besoins du bâtiment, estime Dominic Turgeon, ingénieur de projet du secteur de l’innovation et de la technologie à RNCan. Moi, je ramène à trois catégories les bénéfices d’amélioration des contrôles du bâtiment : le confort des occupants, les économies d’énergie et la pérennité des équipements. »

Il donne comme exemple l’établissement d’un cycle de contrôle d’ouverture et de fermeture des valves pour essayer de maintenir la température dans une pièce ou tout autre point de consigne. Si le cycle de contrôle n’est pas bien optimisé, ces points de consigne vont continuellement ouvrir et fermer sans jamais atteindre un point d’équilibre. Il va donc en résulter une usure prématurée de la pièce d’équipement.

L’expérience de la Banque Nationale avec son projet d’automatisation centralisée des contrôles illustre que la programmation du fonctionnement des systèmes, en particulier pour éviter « les combats de chaud et de froid en même temps », est loin d’être une mince tâche. Ça peut souvent s’avérer la source de conflits dans les réglages des systèmes de chauffage et de climatisation pour assurer le confort des occupants, et qui génèrent inutilement des dépenses d’argent et d’énergie.

Pour avoir une meilleure idée de la difficulté à gérer ce type de conflit, rappelons que la Banque Nationale exploite un parc de plus de 400 succursales réparties à travers le pays. De ce nombre, une minorité sont détenues en propriété par l’institution financière, toutes les autres étant liées par des baux de location. Une situation où elle ne maîtrise donc pas totalement ses choix quant à la gestion des systèmes de contrôle des bâtiments qu’elle occupe. Malgré tout, cela ne l’a pas empêchée de développer des projets d’efficacité énergétique depuis presque dix ans visant à commander et surveiller ses contrôles à partir d’un serveur centralisé.

« La stratégie au départ, confie Marie-Hélène Jobidon, directrice Ingénierie, exploitation et développement durable du secteur des immeubles à la Banque Nationale, c’était d’avoir une vision de ce qui se passe dans le fonctionnement des systèmes à l’intérieur de nos succursales pour assurer le confort des occupants. Cela dit, ce n’est pas encore la totalité de nos succursales qui sont raccordées.

« La mission première était de réduire nos consommations d’environ 20 % par rapport à un site standard de base avec une conception typique, poursuit-elle. On a atteint cet objectif avec nos projets pilotes et on s’est rendu compte qu’on atteignait même un peu plus que ça à certains endroits où on fait du commissioning en continu. Par le fait même, on obtient une vision globale de notre serveur central, d’où on peut comprendre pourquoi à tel endroit un volet reste ouvert, par exemple. On est capable de réagir très rapidement à des alarmes envoyées par le système, et ce, sans envoyer un technicien sur place. Donc, on ne perd pas de temps. On a une vision globale de tous les points de contrôle en succursale qui permet d’être le plus efficient possible, tout en maintenant le confort des occupants et les économies d’énergie. »

Marie-Hélène Jobidon avance que le seuil de rentabilité des investissements de l’entreprise est estimé entre cinq et six ans. L’amélioration des performances énergétiques de certaines succursales dépasserait les 20 %. « Au départ, précise-t-elle, on avait une cible de 350 kW/h/m2 de consommation d’énergie par bâtiment, maintenant ça tourne autour d’une cible de 220 kW/h/m2 et on l’atteint également. »

Selon elle, l’élément-clé du déploiement du système centralisé, « c’est d’avoir une vision claire de ce que l’on souhaite comme implantation, de garder en tête l’objectif des économies d’énergie, de viser la standardisation de nos contrôles et de pratiquer du commissioning en continu afin de maintenir les performances énergétiques dans le temps pour éviter les efforts perdus. »

Depuis presque dix ans, la Banque Nationale développe des projets d’efficacité énergétique visant à commander et à surveiller ses contrôles à partir d’un serveur centralisé - Photo : Banque Nationale

Gérer et exploiter le big data

L’automatisation et la centralisation des contrôles des systèmes mécaniques des bâtiments génèrent de plus en plus des masses d’informations qui peuvent être utiles dans l’amélioration des performances. « Historiquement, c’était plus compliqué d’extraire des données de cette grande masse d’informations, rappelle Stéphan Gagnon, coordonnateur du Service d’accompagnement technique chez Transition énergétique Québec (TEQ). Mais avec l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA), de l’analyse du big data, les systèmes pourront reconnaître de plus en plus clairement les informations les plus pertinentes pour guider vers la résolution de problèmes et même faire du contrôle prédictif. »

L’ingénieur de TEQ est convaincu que l’intelligence artificielle (IA) constituera la prochaine révolution dans l’automatisation des contrôles en exploitation immobilière. Actuellement, on n’en est qu’aux premiers balbutiements, indique-t-il. Et pour cause, il y a encore beaucoup de bâtiments existants opérés à l’aide de contrôles pneumatiques, ce qui peut s’avérer très coûteux de les convertir à l’électronique, en raison notamment de la nécessité de remplacer les sondes et capteurs et de faire passer du nouveau filage dans les murs. Mais la technologie sans fil  présente alors plus d’intérêt pour la conversion des systèmes à des plateformes électroniques capables de générer de grandes quantités d’informations.

C’est précisément sur ce point, estime Stéphan Gagnon, que l’IA aura une grande utilité, par sa capacité d’analyser les données et de trouver des solutions à des problèmes, en prêtant ainsi main-forte à des équipes souvent réduites d’opérateurs qui peinent déjà à éteindre les feux. « Il leur est souvent difficile de faire le tri entre différentes alarmes et d’en choisir prioritairement une plus qu’une autre, illustre-t-il. L’IA va en quelque sorte préparer le travail pour que les opérateurs de systèmes de contrôle puissent intervenir et agir en connaissance de cause. On a beau avoir un bâtiment avec plein de contrôles, si on n’a pas une bonne équipe d’exploitation, on ne pourra pas en tirer les avantages. »

Tout compte fait, il estime que l’ajout d’un programme d’IA au système d’exploitation vaudra le coup. Et, à son avis, ça ne représentera pas un coût si énorme que ça, surtout si l’on considère les économies d’énergie potentielles procurées et les économies en coûts d’exploitation qui en résulteraient; ça devrait se rentabiliser assez facilement. Somme toute, il apparaît de plus en plus évident que l’amélioration des performances des systèmes de contrôle mécanique des bâtiments reposera sur l’exploitation des mines d’informations qui en seront extraites.

Les bénéfices d’un système de contrôle performant
  • Améliore et maintient le confort des occupants d’un bâtiment
  • Réduit la consommation et le gaspillage d’énergie
  • Diminue les coûts d’exploitation et de maintenance
  • Optimise le rendement des équipements en opération
  • Détecte ou anticipe les anomalies ou les pannes
  • Permet d’ajuster le fonctionnement des systèmes à des plages horaires d’activité
  • Assure une plus grande durée de vie des systèmes et des équipements
  • Permet une meilleure planification du remplacement des équipements
  • Accroît la valeur du bâtiment basée sur les bénéfices tirés de son exploitation
  • Contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre

 

Évolution technologique des systèmes de contrôlet
  • Les systèmes automatiques de régulation pneumatique
  • Les systèmes automatiques de régulation électronique
  • Les systèmes automatiques de régulation électronique centralisés
  •  Les systèmes automatiques de régulation électronique centralisés avec contrôles prédictifs et, éventuellement, avec des applications issues de l’intelligence artificielle

 

Les contrôles prédictifs déchiffrés

Selon le chercheur Étienne Saloux, chez RNCan, l’enjeu des contrôles prédictifs se situe dans la gestion des systèmes d’exploitation qui pourront atteindre les performances suivantes :

  • Réduction pouvant atteindre 30 % de la consommation d’énergie (en énergie et en coûts monétaires)
  • Réduction pouvant atteindre 30 % des pointes de consommation d’électricité en bénéficiant d’une tarification sur le volume d’énergie consommée et la puissance fournie
  • Diminution d’environ 20 % des coûts liés à la maintenance prédictive (main-d’œuvre et matériel) et à l’amélioration continue de la performance du système