La Commission de la construction du Québec prêche d’exemple avec son nouveau siège social d’avant-garde, mais empreint de sobriété. Regard sur un bâtiment performant et durable.
Montréal, 2006. L’heure est définitivement venue pour la Commission de la construction du Québec (CCQ) de relocaliser son siège social. C’est que son bâtiment de la rue Jean-Talon, tout juste à l’est de l’intersection du chemin de la Côte-des-Neiges, est désuet et trop exigu pour répondre à ses besoins fonctionnels croissants. Au point où il est nécessaire de loger du personnel dans des espaces de bureaux loués aux alentours.
Il faut savoir aussi que l’idée de retaper cette construction datant de 1957, puis agrandie en 1972, ne résiste pas à une analyse financière rigoureuse. Car elle exige d’investir plusieurs millions de dollars dans la rénovation et la mise aux normes d’un immeuble n’offrant pas de possibilité d’agrandissement, ou si peu, puisque déjà très à l’étroit sur un terrain ceinturé par des rues sur trois côtés.
Une fois sa décision arrêtée, la CCQ doit-elle encore trouver un nouveau lieu d’implantation. C’est ainsi qu’elle acquiert, à l’été 2007, la propriété montréalaise du Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ). Un lot de près de 400 000 pieds carrés qui, situé dans le cadran nord-est de l’avenue Christophe-Colomb et du boulevard Crémazie Est, n’est occupé que par le bâtiment de 125 000 pied carrés abritant les bureaux du CRIQ depuis le milieu des années 80.
Sous-exploité, ce terrain bordant l’autoroute Métropolitaine répond on ne peut mieux aux besoins de la CCQ. Accessible et bien visible, il lui offre suffisamment d’espace pour construire un édifice pouvant réunir sous un même toit toutes les ressources de son siège social. Sans compter que son bureau régional de Montréal, qui occupe des espaces en location non loin de là, pourra être installé dans l’immeuble appartenant auparavant au CRIQ.
Devoir d’exemplarité
La table est donc mise pour la conception et la mise en œuvre d’un projet que la CCQ veut exemplaire à l’égard de la gouvernance, de l’intégration dans son milieu et, bien sûr, de la conformité aux lois et règlements qui encadrent l’industrie québécoise de la construction. Mais ce n’est pas tout : elle vise à ce que son nouvel édifice se pose aussi en modèle pour son design, son respect de l’environnement, son efficacité énergétique et son milieu de travail tout aussi sain que confortable.
Un véritable projet vert, donc, pour lequel l’organisme représentant les employeurs et les travailleurs de la construction au Québec est bien déterminé à obtenir la certification LEED-NC, niveau Argent, du Conseil du bâtiment durable du Canada. Question, encore une fois, de prêcher d’exemple au sein d’une industrie interpellée plus que jamais par la montée du courant en faveur de l’écologisation des pratiques dans le milieu du bâtiment.
Mis en chantier en juin 2010, le bâtiment est livré en décembre 2011 dans le respect du budget – 40 millions de dollars – et de l’échéancier établis. S’élevant sur huit étages, il est implanté dans la continuité du bureau régional de Montréal (ancien édifice du CRIQ), auquel il est relié par une passerelle. En tenant compte de la rénovation et du réaménagement de l’ancien édifice du CRIQ, et de tous les autres frais encourus, y compris l’acquisition du terrain et bâtiment, l’ensemble du projet aura requis un investissement de 74 millions de dollars.
« La CCQ souhaitait un siège social ambitieux, tout en étant modeste. Ainsi, il est à l’image de l’industrie qui l’a souhaité, financé et réalisé : innovateur, tout en maximisant l’utilisation des ressources à sa disposition », se réjouit aujourd’hui la présidente et directrice générale de l’organisme, Diane Lemieux.
Il faut dire que ce bâtiment de 150 000 pieds carrés est le fruit d’une approche conceptuelle s’articulant autour de cinq dimensions : l’image de marque (identification et culture de l’entreprise), la créativité (intégration urbaine, affirmation architecturale et innovation technique), le capital humain (confort, ergonomie et qualité des espaces), l’empreinte écologique (optimisation programmatique, choix des matériaux, gestion du chantier et efficacité énergétique) et le cycle de vie (durabilité, facilité d’exploitation, capacité d’adaptation et valeur ajoutée).
« Notre approche visait à ce que cette réalisation réponde de façon générale aux critères suivants : pertinence, présence, permanence », signale Pierre Larouche, associé principal chez Lemay, firme d’architecture montréalaise autour de laquelle étaient réunis les membres de l’équipe pluridisciplinaire appelée à travailler à la conception du projet.
Le directeur du projet chez Lemay note qu’une attention toute particulière a été accordée à la symbolique dégagée par le siège social. Comme la CCQ voit à l’encadrement de l’industrie de la construction, ce rôle est marqué par un cadre qui entoure la façade du bâtiment. Et parce que la CCQ doit assurer l’équité entre les différents joueurs de l’industrie, cette transparence se transpose par un mur-rideau de verre couvrant la longue façade du côté de l’autoroute Métropolitaine.
Performance et durabilité
Si le nouveau siège social se distingue par son expression architecturale, ses vertus environnementales n’en contribuent pas moins à forger son identité avant-gardiste. Dans ce cas en termes de performance et de durabilité, comme l’illustre une consommation énergétique réduite de 55 % par rapport à la référence du Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments. Ou encore un abaissement de la consommation en eau potable de 38 % comparativement à la référence LEED.
Bien que la liste des stratégies et mesures écologiques et éconergétiques intégrées au bâtiment soit longue, il reste que certaines sont plus significatives ou particulières que d’autres. À commencer par la forme allongée du bâtiment qui, combinée avec sa profondeur réduite, permet d’optimiser l’apport de gains solaires passifs et de luminosité naturelle au moyen du mur-rideau de verre côté sud-est.
Il faut également noter que l’efficacité énergétique du nouveau siège social repose en grande partie sur la récupération de chaleur. L’énergie sur l’air vicié évacué, certes, mais surtout celle produite par la salle de serveurs informatiques. Ainsi, cette dernière est équipée de la technologie In row cooling, qui fait en sorte que de l’eau glacée circule au travers les étagères des serveurs pour y capter la chaleur qui sera dirigée vers un refroidisseur puis, de l’autre côté, dans le réseau de chauffage du bâtiment.
Jacques Lagacé, vice-président Innovation chez Bouthillette Parizeau, explique : « C’est de la chaleur que l’on aurait autrement lancé à l’extérieur l’hiver. On y a donc installé un système de refroidissement dédié qui a été dimensionné pour 65 tonnes, en prévision de l’évolution de la charge dans le temps. Dès le départ, on avait besoin de 30 tonnes de refroidissement 24 heures sur 24, 365 jours par année. Alors quand on a des besoins en chauffage, on fait un bon bout de chemin avec ça. Trente tonnes, c’est 432 000 Bth/h. »
L’ingénieur précise que la décision de récupérer la chaleur de la salle informatique s’accompagnait de l’obligation de traiter le chauffage au moyen d’une boucle d’eau chaude basse température. Une solution avantageuse du fait que le déplacement d’un liquide requiert moins d’énergie que celui de l’air, en plus d’éviter l’installation de gros conduits de ventilation. Mais elle posait cependant un défi aux concepteurs pour le chauffage des espaces du côté du mur-rideau de verre.
Pourquoi ? Eh bien parce que les fenêtres s’élèvent sur 12 pieds à chacun des sept premiers étages et à 18 pieds au huitième. Et qu’il n’était pas possible de chauffer à basse température jusqu’en haut à partir du bas, le long du mur-rideau, sans occasionner une descente d’air froid qui aurait créé de l’inconfort pour les occupants.
Une embûche qui a pu être surmontée en recourant à un produit qui en était à sa première application du genre au Canada, bien que fabriqué par une entreprise montréalaise et qu’utilisé ailleurs dans le monde : un ventilo-convecteur cylindrique pouvant pousser jusqu’au haut du mur-rideau la chaleur véhiculée à basse température par un serpentin de cuivre pourvu d’ailettes d’aluminium.
« L’appareil a d’abord été testé à l’École de technologie supérieure avant que nous décidions de l’installer. Des sections faisant cinq pieds de long chacune ont été encastrées dans une tranchée sur chaque étage en bordure des grandes fenêtres. Si un problème survient avec un module, il peut être facilement et rapidement remplacé par un autre », indique Jacques Lagacé, en soulignant que le vaste mur-rideau avait aussi requis un traitement particulier pour contrer les gains thermiques en été.
Dans ce cas, en plus de brise-soleil verticaux en façade, on a installé un système de stores automatisés pour réguler l’apport calorifique, mais aussi lumineux. Ils peuvent être programmés en fonction de la luminosité, de l’horaire, de l’orientation, de l’étage et de l’occupation.
« C’est Joël Champagne, qui voit à l'exploitation du bâtiment à la CCQ, qui a eu l’idée d’avoir un système de stores non seulement motorisé, mais aussi contrôlé par son système d’exploitation. En fonction de l’heure et de l’ensoleillement, il peut ainsi jouer avec la position des stores à trois hauteurs différentes pour optimiser la consommation d’énergie en chauffage et en climatisation », fait remarquer Stéphane Lecompte, associé chez Lemay et chargé du projet, en mentionnant que le projet a grandement bénéficié de la collaboration établie avec le client.
Ce n’est pas le directeur des ressources matérielles de la CCQ qui va le contredire, lui qui est bien heureux d’avoir eu voix au chapitre à l’égard de différentes dimensions touchant l’exploitation et l’entretien du bâtiment. « J’avais l’expérience des grands immeubles et je pouvais apporter mes idées quant à l’exploitation future du nouveau siège social, indique Joël Champagne.
« Ça m’a amené, poursuit ce diplômé de Polytechnique, à infléchir certaines tendances du design, surtout en mécanique-électrique. Par exemple, nous avons ainsi pu obtenir un système de ventilation et de traitement de l’air neuf à chacun des étages, zone par zone. Nous pouvons ainsi alimenter en fonction de la présence et de la température sans dépenser d’énergie inutilement. Après plus d’un an d’exploitation, je peux dire que c'est un édifice qui est très performant. »
Client : Commission de la construction du Québec
Gestionnaire de projet : Groupe TEQ
Architecture : Lemay
Génie mécanique : Bouthillette Parizeau
Génie électrique : CIMA+
Génie structural : Pasquin St-Jean et associés
Génie civil : PSA / Roche
Architecture du paysage : Version Paysage
Consultation LEED : Lyse M. Tremblay Éco-Architecture
Construction : Divco (excavation, fondation et structure) ; Aecon (enveloppe et aménagement intérieur) ; Excavation Payette (travaux civils et aménagement extérieur)
- Réduction de la consommation énergétique de 55 % par rapport à la référence du CMNÉB
- Abaissement de la consommation d’eau potable de 33 % par rapport à la référence LEED
- Réduction des émissions de gaz à effet de serre de 510 tonnes équivalent CO2 annuellement
Deux innovations
- Première nord-américaine : façade ventilée en céramique pourvue d’une finition photocatalytique la rendant hydrophile, ce qui permet de réduire l’entretien et l’usage de produits nettoyants. Désigné sous l’appellation Hydrotect, ce traitement de surface décompose de façon active les moisissures, les champignons et les bactéries sous l’effet de la lumière. En plus de décomposer les gaz d’échappement des véhicules automobiles.
- Première canadienne : système de chauffage à l’eau chaude basse température utilisant des ventilo-convecteurs en tranchée, au périmètre du mur-rideau de verre, et récupérant la chaleur produite par les serveurs de la salle informatique. Une technologie développée par une entreprise montréalaise qui, bien qu’utilisée ailleurs dans le monde, en est à une première application du genre au pays.
- Gestion des déblais et remblais à même le site
- Densification d’un site urbain sous-exploité
- Décontamination des sols
- Accès à des modes de transport collectifs et actifs
- Stationnement pour vélos ; vestiaires et douches pour les cyclistes
- Bornes de recharge pour les véhicules électriques
- Contrôle du débit de l’écoulement des eaux pluviales à l’égout [bassin de rétention]
- Aménagement paysager résistant à la sécheresse
- Réduction de la pollution lumineuse
- Appareils de plomberie à faible débit [toilette : 4,8 l/chasse ; urinoirs : 3,8/chasse ; robinetterie : 1,9 l/min ; douche : 5,7 l/min]
- Réduction de l’utilisation de matériaux
- Matériaux à contenu recyclé
- Matériaux à faible teneur ou exempts de COV
- Détecteurs de CO2
- Toiture blanche à haute émissivité
- Vue sur l’extérieur pour près de 80 % des occupants du bâtiment
- Et autres
- Optimisation de l’apport solaire passif au moyen d’un mur-rideau pourvu de verre triple installé sur la façade sud-est du bâtiment, du côté de l’autoroute Métropolitaine
- Occultation des gains thermiques en été au moyen de stores motorisés contrôlés en fonction de la lumière extérieure et des fonctions d’économie d’énergie
- Réduction de la surface de vitrage au nord-est et sud-ouest
- Ouvertures autres que le mur-rideau en double vitrage
- Pellicule à haute émissivité sur tous les vitrages
- Enveloppe performante [murs : RSI 3.76 – céramique ● RSI 3.9 – maçonnerie ● RSI 3.7 – aluminium/acier ● RSI 3.4 – fondations ; toiture : RSI 4.2 (en général) ; fenêtres : RSI 1.47 – verre triple ● RSI 0.73 – verre double]
- Deux chaudières au gaz à condensation de 1 860 000 de Btu/heure chacune [efficacité de 93 %]
- Récupération de la chaleur de la salle des serveurs informatiques
- Récupération de la chaleur sur l’air vicié évacué par une roue thermique [efficacité de l’ordre de 75 %]
- Chauffage à l’eau chaude basse température [120 °F à l’aller, 105 °F au retour] au périmètre de la façade vitrée
- Refroidissement naturel de l’eau glacée à certaines périodes de l’année
- Système de contrôle centralisé pour l’éclairage, les stores motorisés, le chauffage et la climatisation
- Forme allongée et profondeur réduite du bâtiment pour favoriser l’apport de lumière naturelle
- Éclairage artificiel au moyen de luminaires T8
- Et autres
L’intégration harmonieuse du bâtiment dans le voisinage était une priorité pour la CCQ. Elle a donc organisé une rencontre pour présenter le projet à ses futurs voisins, créé un canal de communication pour soumettre leurs questions ou commentaires, puis diffusé à trois reprises une publication les informant de l’évolution du projet. Enfin, une visite des lieux a été tenue à leur intention à l’automne 2012.