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La bibliothèque Raymond-Lévesque

17 novembre 2011
Par Rénald Fortier

Un design reposant sur l’utilisation des ressources climatiques environnantes. Et sur une intégration optimale de ses dimensions architecturale, électromécanique et structurale.

Arrondissement de Saint-Hubert, Longueuil. À l’entrée nord-est du Parc de la Cité, au croisement des boulevards Jacques-Marcil et Cousineau, un bâtiment d’une grande transparence se fond désormais dans le boisé environnant. Ce volume de 4 000 mètres carrés, répartis sur deux planchers, c’est celui qui loge la bibliothèque Raymond-Lévesque. Et il n’a rien de banal, loin de là, comme en témoigne son toit à géométrie aérienne évoquant la forme d’un tapis volant. Ou encore son écran de pluie et ses brise-soleil en bois torréfié.

Deuxième en envergure au Québec, cette nouvelle bibliothèque a ouvert ses portes en janvier 2011, au terme d’un investissement global de l’ordre de 16 millions de dollars, dont une dizaine aura été dévolue à la construction proprement dite. Son concept est l’œuvre d’une équipe intégrée de professionnels qui avait été sélectionnée dans la foulée d’un concours d’architecture provincial tenu en 2008.

Si cet établissement culturel montre à l’évidence un design pour le moins singulier, voire novateur sous bien des aspects, sa teneur écologique est loin d’être en reste. À telle enseigne qu’il aurait été admissible à l’obtention du sceau LEED-NC, niveau Certifié à tout le moins, dans la mesure où la Ville aurait décidé de briguer la certification.

De savoir que la réduction de la consommation d’énergie du bâtiment est estimée à 53 %, par rapport à la référence du Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments, suffit vite à en prendre la mesure. Tout comme sa performance sur le plan de la consommation d’eau potable, qui est plus de 40 % moindre que celle d’un bâtiment standard comparable, pour ne citer que cet autre exemple. 

Il faut dire que l’équipe de design formée du consortium Manon Asselin Architecte + Jodoin Lamarre Pratte et associés architectes, ainsi que des firmes d’ingénierie Martin Roy et associés et SNC-Lavalin, aura multiplié les efforts pour minimiser l’empreinte environnementale de cette nouvelle construction. Au premier chef sur le plan de l’implantation du bâtiment, une dimension pour le moins sensible dans le contexte où il devait s’insérer à l’intérieur d’un site peuplé d’arbres.

Il fallait ainsi non seulement composer avec la présence du parc boisé, mais également avec le fait que les citoyens désiraient que l’on coupe le moins d’arbres possible. D’où le concept établi dès le départ, pour permettre une présence paisible du point de vue de la matérialité, de « redonner au bois son bois » et de coiffer le bâtiment d’une toiture arborant la forme d’un tapis volant.

« L’idée était donc de concevoir un bâtiment en bois qui flotterait pour ainsi dire sur le sol, explique l’architecte Manon Asselin, associée de l’atelier TAG. D’un point de vue de l’expérience architecturale de l’espace, le concept du tapis volant permettait d’établir un contact visuel direct avec le tapis végétal du sous-bois et des troncs d’arbres, au rez-de-chaussée, puis de redécouvrir à l’étage la forêt dans toute sa verticalité au travers les brise-soleil.

« On ne peut dissocier la bioclimatique de l’architecture dans ce projet, fait remarquer celle qui est également professeure à l’École d’architecture de l’Université de Montréal. Parce que la bibliothèque Raymond-Lévesque est le fruit d’une intégration optimale de ses dimensions architecturale, électromécanique et structurale. »

Ce n’est certes pas l’ingénieur en électromécanique Martin Roy qui va la contredire : « Quand on est à la table dès le départ avec l’architecte, comme dans ce cas-ci, on peut tout de suite bien comprendre son concept, expose le président de Martin Roy et associés, puis nous pouvons travailler ensemble pour y intégrer des solutions bioclimatiques. » 

« Bioclimatique » : le mot clé est de nouveau lâché ! Parce que si la bibliothèque est à ce point performante sur le plan environnemental, en plus d’offrir un milieu de vie sain et confortable à ses usagers, c’est en raison de son design reposant entièrement sur l’utilisation des ressources climatiques environnantes. Comportant 40 % de fenestration, le bâtiment mise en priorité sur l’énergie solaire passive (orientation, éclairage naturel et choix d’un vitrage performant), tout en occultant les gains thermiques en période de climatisation au moyen des brise-soleil en lamelles de bois installées à la verticale.

Lorsque les ressources solaires sont insuffisantes ou si les besoins en refroidissement sont supérieurs à la capacité de la géothermie passive – un tunnel canadien – intégrée au projet, un système géothermique d’une capacité de 150 kW, qui alimente des dalles radiantes, répond à plus de 70 % des besoins de chauffage et à 100 % des besoins en climatisation. Trois chaudières au gaz haute performance d’une puissance de 400 000 Btu/heure fournissent le surplus d’énergie lorsque cela est nécessaire.

Ventilation naturelle

S’il est une stratégie bioclimatique bien particulière appliquée au projet de la bibliothèque Raymond-Lévesque, c’est bien le recours à la ventilation naturelle. Non seulement parce qu’elle est en outre hydride et par déplacement, mais aussi parce qu’elle met à profit le design de la toiture en forme de tapis volant du bâtiment.

C’est que ce toit, qui se plie et se replie sous les vents dominants d’est en ouest, est pourvu d’une grande entaille délimitant un préau ayant pour effet à la fois d’accroître la pénétration de la lumière naturelle dans le bâtiment et d’y faciliter la ventilation passive. « Pour tirer profit au maximum de la ventilation naturelle, il fallait créer une pression négative au-dessus de la cour intérieure, précise Martin Roy. L’architecte a donc fait une pente de toit à l’endroit d’où viennent les vents de l’ouest de façon à ce que l’on puisse extraire l’air par un effet de convection. »

Un système de contrôle automatisé permet d’utiliser la ventilation naturelle lorsque la température se situe entre 12 et 18 ºC. Au-delà, la ventilation passe en mode hydride jusqu’à 25 ºC, point de consigne à partir duquel elle fonctionne seulement en mode mécanique. Lorsque la ventilation naturelle est en fonction, soulignons-le, tous les équipements de ventilation demeurent à l’arrêt, permettant ainsi une économie d’énergie ainsi que qu’une optimisation de la qualité de l’air et du confort. 

L’entrée d’air se fait par des volets motorisés dans le bas des murs des deux niveaux du périmètre extérieur du bâtiment ; la sortie, par des fenêtres motorisées dans le haut des murs du périmètre intérieur. Ces ouvertures ont été savamment étudiées avec des outils de modélisation pour s’assurer d’un mouvement d’air optimal.

« On ne pouvait pas utiliser de fenêtres au bas des murs, souligne Martin Roy, puisqu’il s’agit d’une bibliothèque et qu’on ne pouvait prendre le risque que des gens y sortent des livres. Alors à certains endroits, on a introduit un conduit dans le plancher et un volet au périmètre extérieur. C’est une solution qui sort des sentiers battus et qui fonctionne très bien. »

La décision d’opter pour une ventilation par déplacement, sans pour autant recourir à un plancher surélevé, a aussi amené l’équipe de design à innover. « Pour limiter les coûts, indique Martin Roy, nous avons plutôt décidé de faire des ouvertures directement dans le plancher et d’utiliser les coups-de-pied des rayonnages de la bibliothèque comme grilles de ventilation.

« Comme ça n’existait pas sur le marché, précise-t-il, nous avons demandé à un fournisseur de nous livrer des coups-de-pied perforés, non sans avoir au préalable calculé le pourcentage de perforation requis. En d’autres endroits, nous avons positionné des grilles dans le plancher et, dans certaines pièces, sur les murs. »

Pour Manon Asselin, c’est là un bel exemple de l’intégration qui a primé dans le cadre de ce projet : « Le concept architectural s’articulant autour d’un tapis volant et les surfaces de plafond étant topographiques à l’intérieur, on ne pouvait y installer de quincaillerie mécanique, ni même électrique. Alors de voir à ce que la mécanique vienne du plancher a permis de conserver des surfaces de plafond épurées. »

La liste des mesures qui concourent à faire de la bibliothèque Raymond-Lévesque un bâtiment vert performant pourrait continuer de s’allonger encore. Non seulement sur le plan éconergétique, mais aussi sur ceux de la captation des eaux de ruissellement, de l’usage des matériaux et des ressources, etc. Et pour Manon Asselin, comme pour Martin Roy, c’est sans contredit l’intégration de ces solutions qui aura permis de bonifier le projet au final. 

Équipe de projet

Client Ville de Longueuil
Gestionnaire de projet Groupe Leclerc
Architecture Manon Asselin Architecte (Atelier TAG) + Jodoin Lamarre Pratte et associés architectes
Génie électromécanique Martin Roy et associés
Génie structural et civil SNC-Lavalin
Construction La Corporation de construction Tridôme

 

Trois cibles
  • Réduction de la consommation d’énergie de 53 % par rapport à la référence du Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments
  • Réduction des émissions de gaz à effet de serre de 120 tonnes/an par rapport à un bâtiment standard comparable
  • Réduction de la consommation d’eau potable de 40 % par rapport à un bâtiment conventionnel comparable

 

Mesures durables
  • Occupation au sol compacte
  • Toit vert (50 %) et membrane de toiture réfléchissante (50 %)
  • Jardin de pierre et deux îlots pour la captation des eaux de pluie
  • Énergie solaire passive
  • Occultation des gains thermiques par des brise-soleil
  • Système géothermique
  • Réduction de matériaux
  • Ventilation naturelle hybride et par déplacement
  • Urinoirs sans eau
  • Toilettes à consommation d’eau réduite
  • Robinetterie à faible débit
  • Éclairage artificiel éconergétique
  • Parement en bois (peuplier jaune du Québec)
  • Dalle radiante
  • Luminosité naturelle dans 100 % des espaces
  • Finis intérieurs à faible émissivité de COV
  • Récupération des débris de construction durant le chantier
  • Etc.

 

Stratégies éconergétiques
  • Énergie solaire passive
  • Éclairage naturel
  • Enveloppe du bâtiment performante (murs extérieurs : RSI 3,4 ; toiture : RSI 5,3)
  • Ventilation naturelle automatisée
  • Système géothermique en boucle fermée composé de 20 puits, forés à 150 mètres de profondeur (492 pieds), et de trois thermopompes de 50 kilowatts chacune (capacité de 500 000 Btu/h en chauffage et en climatisation)
  • Chaudières (3) d’appoint au gaz naturel haute performance (95 %) d’une puissance de 400 000 Btu/h
  • Tunnel canadien (60 mètres de long et 1,2 mètre de diamètre), enfoui à une profondeur de 6 mètres, permettant de préchauffer l’air neuf (ajout de 7 ºC) en hiver et de le refroidir au préalable (extraction de 7 ºC) en été aux températures extérieures extrêmes
  • Échangeurs de chaleur (2) d’une efficacité de 70 %
  • Dalle radiante comportant un réseau de tuyauterie circulant un liquide à basse température
  • Luminaires T5-H0 et LED avec détecteurs combinés de mouvement/luminosité
  • Système de contrôle (plus de 500 points de contrôle) raccordé à une centrale pour tous les bâtiments de la Ville

 

Le tapis volant

Apparaissant complexe de prime abord, la forme de la toiture a d’abord été analysée de manière à déterminer les principes constructifs simples pouvant être réalisés à l’intérieur du budget, sans entraîner d’accumulation de neige importante. Au niveau du toit, le système de résistance aux charges latérales est réalisé au moyen de contreventements en acier situés dans les murs des cages d’escaliers et d’ascenseurs. Le toit formé de plans inclinés est composé d’un diaphragme en acier sur lequel repose un tablier métallique permettant le transfert des charges latérales aux contreventements verticaux.

Source : SNC-Lavalin / atelier TAG

 

Marques de reconnaissance

L’équipe de design de la bibliothèque Raymond-Lévesque (TAG et JLP et associés architectes / Martin Roy et associés / SNC-Lavalin) a été doublement récompensée à l’occasion de la remise des Trophées Innovation et Développement durable de Contech, le 13 octobre dernier. À savoir une mention honorifique dans la catégorie Bâtiment ICI – Pratiques innovatrices et la Distinction Développement durable attribuée dans le cadre de ce concours qui en était à sa 23e édition cette année.

Le jury a été séduit par l’intégration architecturale et créative des systèmes électromécaniques de la bibliothèque. Et par la recherche de solutions architecturales concrètes et durables, ainsi que l’intégration avancée des systèmes d’éclairage et d’apport d’air à même le rayonnage métallique standard de l’établissement.

Les architectes et la Ville de Longueuil avaient déjà reçu un prix d’excellence du magazine Canadian Architect pour la conception architecturale et les plans de la bibliothèque, ainsi que le Grand Prix du génie-conseil québécois dans la catégorie Bâtiment - Structure.