Rencontre avec un professionnel de l’architecture s’activant sur plusieurs fronts pour favoriser le bâtiment vert au Québec. Et qui fait de la collaboration son crédo.
Par Rénald Fortier
Contribuer à l’avancement du bâtiment durable en sol québécois. Voilà ce à quoi s’affaire activement l’architecte Normand Hudon. D’abord dans sa pratique quotidienne chez Coarchitecture, firme dont il est l’un des associés et qui a laissé son empreinte sur plusieurs réalisations écologiques ces dernières années. Comme l’édifice de GlaxoSmithKline, le siège social de La Capitale et le centre de soccer intérieur du parc Chauveau pour ne citer ces exemples.
Un engagement qui se transpose aussi en parallèle au sein d’organismes visant à favoriser le bâtiment vert au Québec. C’est ainsi qu’aujourd’hui, il s’active à la fois sous les chapeaux suivants : président le Réseau en bâtiment vert et intelligent mis sur pied dans le cadre de la démarche ACCORD Capitale-Nationale ; membre du conseil d’administration de la Section du Québec du Conseil du bâtiment durable du Canada ; et président du bureau de direction de la Chaire de recherche sur l’écoconstruction en bois implantée à l’Université Laval.
Comme si ce n’était pas assez, il est aussi membre du comité d’orientation stratégie d’Alsace Énergivie, en France. Sans compter qu’il enseigne au Centre de formation en développement durable de l’Université Laval (cours sur la conception intégrée) et donne aussi une formation en gestion urbaine et immobilière à la Faculté des sciences de l’administration de cette institution.
Malgré un emploi du temps que l’on devine bien rempli, il répond aux questions de Voir vert.
Qu’est-ce qu’un véritable bâtiment durable à vos yeux ?
Un vrai bâtiment durable, pour moi, c’est celui que l’on construit à l’intérieur de la biocapacité, tout en étant économiquement viable et en rendant de bons services à la collectivité. Comme il ne s’en fait pas encore de tels immeubles, sauf peut-être une poignée de projets Living Building Challenge, je préfère utiliser le qualificatif vert à celui de durable. Vert dans le sens où c’est moins brun, moins pire qu’avant.
Quand vous êtes-vous éveillé à l’architecture écologique ?
Quand j’ai commencé ma carrière, dans la deuxième moitié des années 90, la construction était dans un creux de vague. On prenait ce qui passait, c’était une question de survie. J’ai alors travaillé sur des projets qui étaient tout, sauf durables. Puis, au début des années 2000, sont apparus les premiers projets verts à Montréal, notamment la Tohu, et là j’ai compris qu’on pouvait faire autre chose que des mauvais bâtiments.
Quel est le premier véritable projet vert sur lequel vous avez travaillé ?
L’édifice de bureaux Delta 3 de La Capitale, à Québec, dont nous avons commencé la conception en 2006 avec l’objectif d’atteindre le niveau Or de la certification LEED pour le noyau et l’enveloppe. Ce fut l’occasion de faire notre apprentissage et nous avons pris cela très au sérieux. Le projet a été bien documenté et nous avons obtenu tous les points convoités. Le client a été satisfait et nous a invités par la suite à participer au projet de son siège social, qui visait lui aussi une certification LEED Or.
Quelle réalisation vous a le plus marqué à ce jour ?
C’est à coup sûr l’édifice de GSK, à Québec. Nous avons mis beaucoup d’amour dans ce projet parce qu’il nous donnait l’occasion de faire tout ce en quoi nous croyons. Nous nous sommes imprégnés de la vision du client pour concevoir un bâtiment hautement performant au design spectaculaire. Notre design intégrant une foule de stratégies éconergétiques et écologiques, dont une structure de bois triangulée exposée par une façade à double peau de verre, était très audacieux.
Quelle approche guide votre pratique de l’architecture ?
Le travail collaboratif. Je ne suis pas un one man show, je fais partie d’une équipe ici. D’ailleurs, lorsqu’est venu le temps de trouver une dénomination après l’arrivée de nouveaux associés, nous avons opté pour Coarchitecture parce que ça représente ce qui en quoi on croit : la collaboration entre nous. Et c’est aussi la collaboration avec les clients et les professionnels des autres disciplines avec lesquels nous sommes appelés à travailler.
Quel est la clé du succès d’un projet vert ?
Tu ne peux pas arriver à un succès si tu ne prends pas le temps de chercher à optimiser le concept du projet. Et la clé, c’est la conception intégrée, ce qui nous ramène encore à la collaboration, parce qu’elle permet de tirer le meilleur de l’expertise de tous les acteurs réunis autour de la table. Il faut que chacun des maillons de la chaîne de valeur amène sa contribution et s’aligne vers un même objectif. À partir du moment où tu vises la réussite du projet, puis que tu sais par exemple que le confort des occupants et la performance énergétique sont des aspects que tu veux mettre en valeur, c’est facile de travailler de concert avec un ingénieur qui a le même objectif que toi.
Quelle dimension d’un projet vert vous interpelle le plus ?
C’est sans contredit la qualité de vie des gens. Ça se traduit souvent par le confort et le bien-être des occupants dans un bâtiment attrayant qui favorise les interactions positives entre eux. La luminosité naturelle, la qualité des vues ainsi que le confort visuel et thermique sont parmi les principaux objectifs qui commandent des stratégies sophistiquées où nous jouons un rôle de premier plan en tant qu’architectes. L’intégration de telles stratégies s’accompagne de bénéfices tangibles pour les organisations visionnaires qui mettent en œuvre des projets responsables.
Quel est votre rapport avec la certification LEED ?
Nous avons travaillé sur plusieurs projets LEED à ce jour. C’est un système qui bien sûr est imparfait, mais il tend toujours à s’améliorer et pousse l’industrie immobilière à faire mieux tout en considérant la rentabilité des projets. Contrairement au Living Building Challenge qui a pour objectif de construire des bâtiments à l’intérieur de la biocapacité, sans égard aux considérations de marché.
Ce qui est intéressant aussi avec LEED, c’est que ça permet de mobiliser l’équipe de projet en fixant des cibles de performance mesurables. Pour les atteindre tous les intervenants doivent collaborer. Les gens prennent habituellement ça au sérieux parce que si on n'atteint pas les objectifs, on va se faire taper sur les doigts tôt ou tard.
Comment entrevoyez-vous l’avenir du bâtiment vert au Québec ?
La croissance économique est relativement faible au Québec, ce qui se traduit par un marché immobilier très serré qui laisse peu de marge de manœuvre pour introduire les meilleures pratiques. Aussi, le faible coût d’une énergie renouvelable abondante ne nous met pas la pression que les Européens ont pour rendre leur parc immobilier plus efficace. Il ne faudra pas s’étonner que nos bâtiments ne soient pas les plus performants au monde. De façon plus optimiste, on remarque que les organisations publiques et privées valorisent de plus en plus la responsabilité environnementale et sociale. Elles ont tendance à vouloir bien faire, dans la mesure où c’est bien perçu socialement. Ça permet aux équipes de projet de faire des recommandations un peu plus poussées aux décideurs qui les jugeront à tout le moins recevables. Le résultat final dépendra de la vision, de la passion et de l’ouverture à la collaboration de chacun.
Qu’est-ce qui vous réjouit le plus avec le bâtiment vert ?
C’est qu’il va au-delà des seules considérations économiques pour donner de l’importance aux dimensions environnementale et sociale. Pour un concepteur, c’est plaisant, parce que tu as l’impression de faire les bonnes choses, du moins d’aller dans la bonne direction et d’amener une contribution vers un monde meilleur.
Qu’est-ce qui fait courir Normand Hudon ?
L’architecture peut apporter une grande contribution à la société, mais elle peut aussi faire des dommages. Après avoir travaillé sur des projets purement mercantiles au début de ma carrière, j’ai décidé d’essayer de contribuer à l’amélioration du patrimoine bâti en mettant mon énergie à faire évoluer les pratiques dans l’industrie. Moi, c’est ça qui me motive et qui fait que le lundi matin, je suis content de rentrer au bureau.
Diplômé en architecture de l’Université Laval en 1996, Normand Hudon intègre peu après la firme fondée par son père, Michel, et Denis Julien en 1976, qui cesseront respectivement de pratiquer en 2004 et 2006. Associé depuis 2002, il sera successivement rejoint par Louis Caron et Alain Tousignant (2006), César Herrera (2008) et Marie-Chantal Croft (2009). C’est à ce moment que Hudon Julien Associés devient Coarchitecture, qui compte aujourd’hui une quarantaine d’employés.