Avec la montée de la conception intégrée et de la construction durable, la modélisation promet de révolutionner la façon de planifier, de concevoir, de construire et même de gérer les bâtiments.
Les enjeux liés à la mondialisation des marchés et au développement durable exigent de réformer l’industrie et de repenser la conception des bâtiments à travers une collaboration plus étroite de tous les intervenants, qu’ils soient donneurs d’ouvrage, architectes, ingénieurs, constructeurs ou gestionnaires. Les experts sont par ailleurs unanimes : ce nouveau mode collaboratif passe aujourd’hui par la maquette numérique ou BIM (Building Information Modeling), qui propose une version unifiée des projets, basée sur des données techniques et fonctionnelles standardisées.
Le BIM, c’est avant tout une représentation numérique de l'ensemble des caractéristiques physiques et fonctionnelles d'un ouvrage. Dans les faits, c’est à la fois un logiciel, une base de données et un processus collaboratif. Apparu en Finlande au milieu des années 1990, il fait aujourd’hui l’objet d’un consensus international visant à uniformiser la façon de concevoir, de construire et d’exploiter les bâtiments au sein des pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).
« La construction est une industrie où les concepts d’amélioration continue et de valeur ajoutée sont très peu présents, souligne d’entrée de jeu Jean-François Lapointe, conseiller à la formation et responsable du secteur BIM au Cégep de Limoilou. C’est également une industrie complexe, maillée avec d’autres industries, mais aussi fragmentée et très résistante au changement. Ce que l’approche BIM propose, c’est de transposer les principes de la production manufacturière au secteur de la construction, en suivant le produit sur tout son cycle de vie, de la conception à la démolition, dans le but de faire les meilleurs projets au meilleur coût. »
BIM au Canada
Si le virage BIM est déjà bien amorcé ailleurs dans le monde, le Canada fait toujours piètre figure en la matière. « Ici, son implantation est avant tout une volonté de l’industrie, poursuit-il. Jusqu’ici le gouvernement n’a mis de l’avant aucun programme pour en favoriser l’adoption. Il règne aussi une certaine confusion quant à la standardisation du processus. Présentement, l’industrie s’appuie sur le standard NBIMS US v3, qui a été adapté pour répondre à la réalité canadienne. La version 4 devrait uniformiser les façons de faire des deux côtés de la frontière. »
Heureusement, deux groupes d’intérêt veillent au grain. Le premier, CanBIM, est composé de représentants de l’industrie. Il a pour mission de faciliter la transition vers le BIM afin d’assurer la compétitivité de l’industrie canadienne sur l’échiquier mondial. Il a notamment élaboré un programme de certification BIM pour les individus et s’apprête maintenant à lancer une certification organisationnelle. Le second, BuildingSMART Canada, œuvre au développement, au partage et à la promotion des meilleures pratiques auprès des divers intervenants. Il voit également au développement des compétences des individus comme des organisations.
Enjeux et avantages
L’industrie a en effet tout à gagner avec la maquette numérique, comme le rapporte Ivanka Iordanova, directrice BIM-VDC pour Pomerleau. Et elle parle en connaissance de cause : en 2014 seulement, la proportion de projets de bâtiments réalisés avec l’approche BIM par l’entrepreneur atteignait 74 % (calculée sur le coût). « Le travail collaboratif se réalise autour d’un modèle numérique – une base de données avec une expression géométrique visuelle, qui peut servir à tous les participants du projet, pendant tout le cycle de vie du bâtiment ou de l’infrastructure, dit-elle.
« On a appliqué BIM à la conception de la Place Bell à Laval, où il nous a permis d’optimiser la performance du bâtiment et du chantier, mais aussi d’explorer d’autres options pour diminuer les coûts et l’échéancier, illustre-t-elle. Au Centre Vidéotron de Québec, BIM a favorisé la communication et la collaboration dans l’équipe en plus de réduire les interférences entre les différents systèmes avant la mise en chantier. En bout de ligne, cette approche s’est traduite par une réduction de 30 millions du coût final. À Montréal, où on construit présentement la tour multirésidentielle Icône, BIM facilite la coordination multidisciplinaire, la logistique au chantier, le suivi des sous-traitants et l’estimation des coûts. »
Les avantages du BIM sont non seulement nombreux, mais ils sont aussi quantifiables. Selon la table multisectorielle organisée par le Groupe de recherche en intégration et développement durable en environnement bâti (GRIDD) de l’ÉTS, l’approche BIM permettrait notamment de réduire les coûts d’un projet et sa durée, de la conception à la mise en service. Des avantages auxquels la Société québécoise des infrastructures (SQI), également membre de la table multisectorielle, n’est pas restée insensible. D’ici les cinq prochaines années, la société d’État cible d’ailleurs la réalisation de huit à 10 projets majeurs en mode BIM.
Il n’empêche, plusieurs embûches entravent encore le développement du BIM au Québec. « Parmi les enjeux relevés par le GRIDD, on rapporte la formation des futurs gestionnaires de bâtiments BIM, note Jean-François Lapointe. Il y a aussi la Loi sur les architectes qui nécessite d’être refondue. Présentement, la législation interdit la formation de coentreprises entre architectes et ingénieurs, alors que le but de BIM est justement d’amener les concepteurs à travailler ensemble.
« Sans oublier la réforme des contrats publics et la règle du plus bas soumissionnaire, alors qu’on sait que le plus bas soumissionnaire n’est pas nécessairement le plus collaboratif ni le plus innovateur, ajoute-t-il. Enfin, le passage à BIM nécessite des investissements importants, il faut une équipe dédiée. Si les plus grandes entreprises ont les moyens de s’offrir une telle équipe, il en va autrement pour les plus petites entreprises. Mais rien de tout cela ne pourra se réaliser sans la volonté et l’engagement des donneurs d’ouvrage, qu’ils soient publics ou privés. »
- Réduction des coûts de construction de 3 à 10 %
- Diminution de la durée du projet (de la conception à la mise en service) de 7 à 19 %
- Baisse des reprises de 50 à 95 %
- Augmentation de la productivité au chantier de 6 à 29 %