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Conjuguer le patrimoine bâti au futur durable

7 janvier 2020
Par Léa Méthé

Conserver et valoriser le patrimoine bâti, c’est contribuer à la lutte contre les changements climatiques. Regard sur des réalisations qui conjuguent le passé au futur durable.

Qui de nos jours connait le bonheur de spécifier des planchers de terrazzo pour un immeuble public, confiant que la foulée des visiteurs les érodera à peine en 100 ans? Personne, en effet. Les enveloppes massives en brique et pierre de taille n’ont plus leur place dans la construction commerciale et institutionnelle, pas plus que le fer forgé ou les planchers mill floor. D’où l’importance de sauvegarder et mettre en valeur ces éléments, hérités d’une époque où l’on entretenait un rapport différent avec les ressources, lors de rénovations.

Au-delà du cachet, la conservation des bâtiments existants constitue également un levier important pour le développement durable et la lutte contre les changements climatiques. « Prolonger la durée de vie de l’immeuble permet d’amortir l’empreinte carbone des matériaux sur une plus longue période, explique Charles Thibodeau, directeur général de CT Consultant, une firme spécialisée dans l’analyse du cycle de vie. La rénovation des bâtiments est donc une stratégie gagnante, à condition bien sûr d’atteindre et de maintenir des standards élevés d’efficacité énergétique. »

À travers les certifications environnementales de plus en plus rigoureuses, la notion d’analyse de cycle de vie (ACV) du bâtiment est devenue incontournable. L’ACV incite à considérer les impacts environnementaux de toutes les étapes de production d’un bien : de l’extraction des ressources naturelles nécessaires à sa fabrication jusqu’à sa fin de vie. Or, la phase de construction d’un immeuble est extrêmement intensive en ressources matérielles et en énergie. Si on considère le cycle de vie des bâtiments québécois chauffés à l’énergie hydroélectrique, la majorité des gaz à effet de serre occasionnés est imputable à la fabrication et au transport des matériaux.

L’Édifice Wilder Espace Danse est issu de la transformation extrême d’un ancien bâtiment industriel délabré au cœur du Quartier des spectacles de Montréal - Photo : Michel Brunelle

Chasse au carbone

Dernier d’une flopée d’immeubles à vocation culturelle à voir le jour dans le Quartier des spectacles de Montréal, l’Édifice Wilder Espace Danse loge aujourd’hui dans un bâtiment datant de 1918 rénové et agrandi pour accueillir les bureaux et studios de quatre organisations vouées à la danse. Bien que le bâtiment soit demeuré inoccupé pendant dix ans, sans chauffage, la majorité des éléments massifs, soit la structure de béton, les murs de brique au périmètre et la façade originale donnant sur la rue Bleury ont été récupérés.

« D’un point de vue écologique, l’empreinte carbone de la réparation de la structure est beaucoup moindre que celle de la construction d’une nouvelle structure », affirme Patrick Bernier, architecte chargé du projet chez Ædifica, firme qui a vu à la conception du projet en consortium avec Lapointe Magne & Associés.

Les concepteurs ont ainsi tenu compte de l’impact environnemental des matériaux à toutes les étapes de réalisation, optant pour des murs de brique et de béton laissés à nu. « Plutôt que de tout recouvrir ou refaire le fini, on a tout simplement peint pour uniformiser », explique Patrick Bernier. La première stratégie, ce n’est pas de recycler ou de réutiliser, mais de réduire. Si on n’avait pas besoin de mettre un matériau, c’est ce qu’on préconisait. »

Si la tendance zéro déchet gagne en popularité chez les consommateurs, le secteur de la construction, lui, est encore loin du compte. En effet, 1,61 mégatonne de déchets, soit 29 % de tous ceux éliminés au Québec, proviennent des activités de construction, rénovation et démolition. La bonne gestion des matières résiduelles au chantier et l’adoption de meilleures pratiques dans les centres de tri contribuent à réduire ces volumes.

Reste que les stratégies ultimes consistent à prolonger la vie utile des immeubles par un entretien consciencieux et des rénovations ponctuelles, puis à faire une déconstruction sélective lorsque cela est nécessaire. En outre, la démolition éventuelle d’un bâtiment ancien, constitué de matériaux inertes, pose un moins grand problème d’élimination que la destruction d’un bâtiment récent, dont les matières composites et agglomérées seront encore plus difficiles à recycler.

Défis particuliers

La rénovation des immeubles patrimoniaux présente souvent des défis particuliers. C’était le cas lorsque les propriétaires de l’Édifice Lampron à Trois-Rivières ont sollicité l’aide de Ronald Gagnon, coprésident de la société d’ingénierie Plan Unique / Concept-R, afin d’aménager des bureaux prestigieux et confortables sans intervenir sur l’enveloppe constituée de quatre rangs de briques. « C’est un édifice historique dans lequel il fallait intégrer des systèmes non invasifs pour préserver au maximum les éléments patrimoniaux à l’extérieur comme à l’intérieur », explique-t-il.

Afin de compenser pour la faiblesse de l’enveloppe, on a opté pour le préchauffage de l’air à l’aide de collecteurs solaires installés en toiture. Treize puits géothermiques ont également été forés pour alimenter le système de chauffage hydronique à basse température. Pour assurer le confort des occupants, 110 ventilo-convecteurs ont été stratégiquement positionnés sous les vastes fenêtres, à la place des anciens radiateurs à eau chaude.

Par ailleurs, tous les postes de demande énergétique de l’immeuble ont fait l’objet d’une réflexion portant à la fois sur la performance et sur l’aspect visuel. Le chauffage et la ventilation ont été découplés pour améliorer l’efficacité de chaque fonction et pour permettre le passage de conduits plus discrets. « Plus il y a de fonctions attendues pour un appareil, plus on doit faire de compromis sur la performance », affirme Ronald Gagnon.

Une conception soigneuse de l’éclairage et l’utilisation de contrôles automatisés, dont des détecteurs de présence, participent aussi à réduire les charges électriques. Des commutateurs utilisant un signal radio permettent en outre de s’affranchir du câblage pour les commandes du chauffage et de l’éclairage.

Requalification urbaine

Si les bâtiments existants partent gagnants dans la course au bâtiment durable, ce n’est pas seulement pour l’aspect matériel des projets. C’est aussi dans une large mesure une question de localisation, les bâtiments plus anciens se trouvant généralement au cœur des bassins de population. Rocio Venegas, de rocioarchitecture, a œuvré à la transformation d’un bâtiment industriel en locaux pour bureaux au 7250 Marconi, à Montréal: « L’intérêt de Groupe Montoni pour le bâtiment, au début, c’était sa localisation près de plusieurs services de transport en commun, qui donne une grande valeur à la propriété. Le secteur est vraiment développé aujourd’hui, mais à cette époque (2012), il n’y avait pas beaucoup de bureaux. »

Le fait d’exploiter un site déjà urbanisé permet de récolter jusqu’à 18 points en vue d’une certification LEED, avant même qu’il soit question de conception. Cela traduit les économies d’échelle permises par la densité en termes de desserte : un kilomètre de rue, de réseau de transport collectif, de piste cyclable sert un plus grand nombre d’usagers.

« S’implanter au centre-ville contribue non seulement à réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi à diminuer la congestion à l’échelle de la région », affirme Amandine Rambert, de Vivre en Ville, auteure de la publication La localisation écoresponsable des bureaux. La mixité qui caractérise souvent les quartiers plus anciens contribue aussi aux déplacements courts grâce à la proximité entre les lieux de travail, établissements scolaires, commerces de proximité et lieux de loisirs.

Si l’intérêt du Groupe Montoni pour le 7250 Marconi reposait initialement sur la localisation et les superficies disponibles, Rocio Venegas a néanmoins misé sur les qualités esthétiques du bâtiment existant. « On sentait la volonté de l’équipe chaque fois qu’on emmenait des idées de conservation, tout le monde embarquait. (…), relate Rocio Venegas. Les éléments qui nous ont le plus allumés étaient les murs porteurs de maçonnerie apparente, les colonnes de bois, l’acier, la brique ancienne et le mill floor. Nous avons démontré au client que ça avait une valeur et qu’en les recouvrant de gypse, l’édifice aurait l’air de n’importe quel carré d’entrepôt. Depuis sa rénovation, Dario Montoni, le fondateur du Groupe Montoni, nous dit que le 7250 Marconi est un de ses bâtiments préférés. »

Pouvoir d’attraction

Les avantages environnementaux de la valorisation de l’existant sont indéniables, cet argument s’ajoutant à la nécessité de conserver les bâtiments d’époque pour la valeur des panoramas historiques et par devoir de mémoire. La valeur patrimoniale ou d’estime, bien qu’intangible, est bien réelle selon Pascal Lamy. Ingénieur en structure chez Conception Temporaire ou Durable, il a contribué à la conversion de l’ancien couvent des Ursulines de Roberval en place d’affaires.

« L’être humain aime ce qui est beau, ce qui a du vécu, et c’est ce qui se dégage d’un bâtiment comme le couvent de Roberval. Ce n’est pas tangible, mais c’est réel; le cachet a un pouvoir d’attraction sur la population », indique celui qui a également travaillé sur la rénovation du Grand-Union, un immeuble emblématique de Victoriaville.

« C’est aussi un bâtiment qui a un cachet historique et ça fait en sorte qu’aujourd’hui il est plein. L’incitatif est là; c’est pratiquement le même coût qu’une nouvelle construction, observe-t-il, mais la valeur du bâtiment est plus élevée. »

Crédits LEED v4

Dans la certification LEED v4, trois crédits rétribuent la valorisation d’immeubles existants et cinq crédits favorisent une localisation écoresponsable, pour un total de 18 points. C’est près de la moitié des 40 points nécessaires à l’obtention du premier niveau de certification.

  • 1 point - Réutilisation de bâtiment
  • 4 points - Réduction de l’impact du cycle de vie du bâtiment
  • 1 point - Secteur patrimonial
  • 5 points - Transports en commun
  • 3 points - Densité
  • 2 points - Diversité de services
  • 1 point - Gestion du stationnement
  • 1 point - Accessibilité vélo
Cinq mesures pour des rénovations écologiques

Concevoir en fonction du cycle de vie

  • Conserver un maximum de systèmes existants et viser la déconstruction sélective de ceux qui doivent être remplacés. Pour les nouveaux aménagements, prioriser la réduction des matériaux à la source, la sélection de matériaux écoresponsables et le tri des matières résiduelles au chantier.

Optimiser l’efficacité énergétique de l’enveloppe et des systèmes mécaniques et viser des opérations zéro carbone

  • Prioriser la remise en service des systèmes existants, le remplacement des composantes inefficaces, la transition vers des sources d’énergie propres et la réduction de la demande de pointe.

Remplacer les accessoires de salle de bain et de cuisine par des équipements à faible débit

  • Songer à sécuriser le réseau de plomberie par le positionnement des chauffe-eau près des drains et par l’installation judicieuse de valves d’arrêt : un seul dégât d’eau peut causer plus de pertes matérielles que des années d’usure normale.

Favoriser l’utilisation des transports collectifs et actifs

  • Concevoir l’accès à l’immeuble avec en tête les piétons et les personnes à mobilité réduite. Prévoir un espace de rangement suffisant et sécurisé pour les vélos et un vestiaire avec douche pour les navetteurs cyclistes.

Favoriser l’utilisation des transports collectifs et actifs

  • Les occupants et visiteurs sont sensibles au charme des matériaux nobles et des ornements d’époque. Un bâtiment aimé est un bâtiment occupé, et l’occupation est un élément clé dans la conservation du patrimoine bâti.