L’analyse du cycle de vie s’impose de plus en plus comme l’outil par excellence pour identifier les meilleures solutions écologiques dans le domaine du bâtiment.
Pour optimiser la performance écologique d’un bâtiment, encore faut-il savoir au départ ce qui domine réellement son empreinte. Et force est de constater que remettre du dentifrice dans un tube peut sembler plus simple, de prime abord, que d’obtenir l’unanimité sur la question. Certains s’arrêteront tout de go à la seule composition des matériaux employés, d’autres à leur transport, d’autres encore au rendement énergétique des installations et ainsi de suite.
Pourtant, de récentes études montrent que c’est l’exploitation et l’entretien d’un bâtiment, ainsi que l’enfouissement de ses composantes en fin de vie, qui génèrent le plus d’impacts environnementaux. D’où l’importance alors d’opter pour les produits et les matériaux à la fois les plus éconergétiques et durables, bref qui exigeront moins d’entretien et qui trouveront un nouvel usage après leur première vie utile.
S’il arrive régulièrement que les experts fassent fausse route lorsque vient le temps d’évaluer la performance environnementale réelle d’un produit, comme l’illustre on ne peut mieux l’éthanol fait à partir de maïs, c’est parce qu’il n’existe pas de méthode pour la quantifier adéquatement. Ou plutôt qu’il n’en existait pas jusqu’à l’avènement de l’analyse du cycle de vie (ACV), une méthode d’évaluation des impacts environnementaux potentiels qui prend en compte toutes les étapes de la vie d’un produit, pour prendre cet exemple : extraction des matières premières, fabrication, transport, utilisation et gestion de fin de vie (recyclage, réutilisation, valorisation, enfouissement…).
À l’heure où les entreprises citoyennes sont louangées pour leur engagement en faveur du développement durable, ou encore mises au banc pour leur tendance à commercialiser des produits qui n’ont de vert que la couleur de l’emballage, l’ACV s’impose donc de plus en plus comme l’outil par excellence pour départager les pratiques responsables des moins bonnes. Ceci parce qu’elle apporte des réponses concrètes et mesurées quand il s’agit de comparer deux solutions sur le plan de la performance environnementale, de mieux connaître les méthodes de production, de réaliser un bilan carbone complet ou d’identifier les points chauds dans la chaîne d’approvisionnement.
L’ACV et le bâtiment
L’ACV est de plus en plus utilisée pour mieux comprendre le bilan environnemental d’un bâtiment. Mais elle n’est pas une rose sans épines, car elle suppose un processus de longue haleine. Au premier chef parce que les immeubles sont constitués à partir d’un très grand nombre de pièces différentes, chacune affichant des caractéristiques qui lui sont propres. Même qu’il peut parfois s’avérer impossible de tracer l’ADN d’un bâtiment avec précision.
C’est pourquoi plusieurs organismes de recherche, comme l’Institut Athena et le Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), travaillent à bâtir un inventaire de toutes ces données.
Le logiciel ATHENA, gratuit et facile d’utilisation, se prête bien à la réalisation d’une analyse touchant un environnement bâti. Rapidement, il permet de quantifier les impacts en matière d’émissions de gaz à effet de serre et donne une idée comparative entre deux propositions d’ensemble structural. Il y aurait toutefois une ombre au tableau, car le logiciel ne serait pas transparent dans la livraison des résultats. Autre hic : le logiciel permet de considérer seulement le noyau et l’enveloppe du bâtiment, sans tenir compte de l’étape (du cycle de vie) de l’utilisation. Pourtant, celle-ci peut compter pour plus de 90 % des sommes dépensées pendant sa durée de vie, rien de moins.
L’ACV est aussi mise à profit depuis quelques années pour améliorer les critères de la certification LEED. Sébastien Humbert, chercheur au doctorat à l’Université de Berkeley et cofondateur de Ecointesys, a évalué l’impact et les bénéfices des différents crédits LEED selon une perspective de cycle de vie. Ses conclusions mettent en lumière qu’un point obtenu pour l’absence de systèmes d’irrigation n’a pas la même valeur environnementale qu’un autre investi en efficacité énergétique. Ces résultats pourraient être utilisés pour rétablir une pondération juste des crédits LEED, ce qui reflèterait davantage les impacts associés aux stratégies de construction de bâtiments verts.
De la théorie à la pratique
Lorsqu’il est question d’indicateurs de performance en matière de développement durable, il manque généralement d’outils crédibles et reconnus. L’ACV, elle, se démarque puisqu’il s’agit d’une méthode scientifique encadrée par l’Organisation internationale de normalisation (ISO 14040 et ISO 14044). La norme ISO 14040, faut-il le souligner, est un guide de pratique et non pas une certification, comme l’est ISO 9001.
Quatre grandes étapes sont nécessaires pour réaliser une ACV : la définition des objectifs et du champ de l’étude, l’analyse de l’inventaire, l’évaluation des impacts et l’interprétation. La première vise à identifier précisément ce qui sera étudié ainsi que l’objectif de l’étude. Il faut entre autres déterminer les éléments devant être pris en compte : les processus à considérer ; l’inclusion ou non des infrastructures, du déneigement ou de la marche au ralenti des véhicules lors de la livraison des matériaux…
La deuxième étape, elle, doit permettre d’identifier et de quantifier l’ensemble des entrants (matériaux, énergie, eau…) et sortants (produits, émissions dans l’air, l’eau, le sol, déchets…) pour chacun des processus à évaluer. Cela peut représenter des milliers de données. Pour ce faire, on se tourne généralement vers des bases de données d’inventaire, la plus utilisée étant Ecoinvent développée en Suisse.
Les données doivent cependant être adaptées pour l’Amérique du Nord. Et il peut même s’avérer nécessaire d’aller mesurer les entrants et les sortants sur le terrain. Pas étonnant donc que cette étape s’avère la plus fastidieuse, la plus coûteuse aussi.
Au troisième stade de l’analyse, il s’agit de regrouper les données relevées précédemment en catégories d’impacts. Il existe quatre grandes familles d’impacts : les changements climatiques, l’épuisement des ressources, la santé humaine et la santé des écosystèmes. Il est alors nécessaire d’utiliser une méthodologie d’évaluation des impacts, comme IMPACT 2002+.
L’étape finale consiste en l’interprétation des résultats. Celle-ci fera l’objet d’un rapport qui non seulement fera état de ces derniers, mais qui s’accompagnera aussi de conclusions et de recommandations. C’est à ce moment qu’on identifiera également les marges d’erreurs et incertitudes attribuables à la région, à l’ajustement de certaines données à l’étape de l’inventaire ou encore à l’exclusion de certains flux. La transparence, soulignons-le, est une composante importante de l’ACV. C’est ce qui rend l’étude solide et crédible. Autrement dit, il est important d’expliquer clairement les choix faits par les analystes.
Il va sans dire que ces analyses nécessitent le recours à des logiciels, à des bases de données et à une expertise de pointe. Aussi l’ACV n’inclut-elle pas d’analyses comme des analyses de coûts, du risque ou des impacts sociaux. Il est néanmoins possible, voire souhaitable, de mener ces analyses parallèlement à l’ACV, selon le contexte et les besoins de l’étude, toujours dans un but de comparaison.
Autre mise en garde à considérer : l’ACV n’est pas non plus une étude absolue puisque les processus de fabrication tendent à changer rapidement. Bref, elle se veut plutôt un outil d’aide à la décision pour établir des priorités en fonction des ressources disponibles. C’est aussi un excellent moyen de communiquer la performance d’un bâtiment.
La version simplifiée
L’ACV est un outil flexible, à telle enseigne qu’il est possible d’en modifier les paramètres pour réduire les coûts et les délais. C’est qu’il existe des méthodes d’ACV simplifiées qui se concentrent sur une plus petite quantité d’aspects environnementaux (les plus susceptibles d’être dommageables) et sur les étapes du cycle de vie les plus pertinentes.
Cette approche préliminaire peut aller jusqu’à diviser par 10 les coûts d’une analyse. Les résultats sont certes moins précis, mais selon les besoins, ils peuvent l’être suffisamment pour aider à choisir un fournisseur, par exemple. C’est d’ailleurs à l’aide d’une approche simplifiée que Rona a développé son éventail de marque Rona Éco.
L’ACV simplifiée permet donc un usage à plus grande échelle, ce qui est intéressant dans le bâtiment. Son coût la rend aussi plus facilement accessible à la PME. De manière générale, il est d’ailleurs recommandé de débuter par une ACV simplifiée afin d’obtenir un premier portrait. À partir de ces résultats préliminaires, il est ensuite possible d’identifier où il faudra mettre des efforts supplémentaires pour réaliser une ACV détaillée. Cela permet d’obtenir une information plus pertinente.
Il faut savoir que le coût d’une ACV varie énormément selon le type de produit ou de service à évaluer. Plus il est complexe, plus il y a de processus à modéliser et plus le montant de la facture s’apprécie. En règle générale, le coût d’une analyse de cycle de vie simplifiée, une affaire de quelques semaines, avoisinera en moyenne les 20 000 dollars. Celui d’une analyse détaillée conforme à la norme ISO 14040, dont la réalisation s’étalera sur plus de quatre mois, s’établira pour sa part autour de 100 000 dollars.
Compte tenu des coûts de construction d’un nouveau bâtiment, le coût de l’ACV demeure relativement abordable. Et parce que les impacts environnementaux sont, dans les faits, la conséquence d’une inefficacité à l’une ou à l’autre des étapes du cycle de vie d’un produit, les entreprises qui décident de suivre cette voie peuvent généralement réaliser des économies de coûts substantielles.
En effet, en identifiant les étapes du processus les plus dommageables, on identifie généralement les étapes où il y a une utilisation excessive ou inadéquate de ressources. Typiquement, on peut s’attendre à réaliser une économie de 20 % sur le bilan énergétique du cycle de vie, souvent avec des modifications mineures. C’est dire.
* NDLR : la rédaction de cet article a bénéficié de l’expertise de Julie-Anne Chayer et de Cécile Bulle, du CIRAIG. Son édition, elle, a profité de la collaboration de Jean-Sébastien Trudel, président d’ellipsos.
Les logiciels d’évaluation des impacts les plus utilisés pour la réalisation d’ACV sont : IMPACT 2002+ (probablement le plus utilisé), EPS2000, TRACI, Lime, Jepix et EDIP2003.
L’ACCV utilise le même cadre méthodologique que l’ACV. Par conséquent, combiner les deux analyses donne aux décideurs un outil puissant pour réduire les coûts à la fois sur le plan économique et sur le plan environnemental.
Attention à ne pas confondre l’ACCV avec les méthodes traditionnelles de calculs des coûts totaux dans le bâtiment. Tout comme l’analyse environnementale, il existe des lignes directrices encadrées par les Nations Unies pour réaliser une ACCV. De plus, celle-ci permet de conjuguer les coûts du projet avec la performance environnementale parce que le calcul est réalisé avec les mêmes paramètres, ce qui rend les deux résultats comparables.
Fondé en 2001, par l’école Polytechnique, en collaboration avec l’Université de Montréal et HEC Montréal, le CIRAIG (www.polymtl.ca/ciraig) est le centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services. Il est également l’un des partenaires officiels de l’Initiative sur le cycle de vie lancée par le Programme des Nations Unies pour l’environnement. Le CIRAIG offre tous les services relatifs à l’analyse du cycle de vie ainsi que des formations et il participe activement à la recherche dans ce domaine.
Athena Sustainable Materials Institute
L’Athena Institute (www.athenasmi.ca) développe des outils d’analyse des impacts environnementaux pour les nouveaux bâtiments et les bâtiments existants en se basant sur l’ACV. Il offre des outils gratuits pour les professionnels et des services professionnels en analyse du cycle de vie des bâtiments. Soulignons que l’Athena Institute s’est joint à l’Université de Calgary pour mettre sur pied l’Athena Chair in Life Cycle Assessment (www.athenasmi.org/about/athena_chair_of_lca.html), dédiée à l’avancement de la méthodologie et de l’ACV dans le bâtiment.
Ellipsos
Première firme de consultants en gestion du cycle de vie au Québec, ellipsos (www.ellipsos.ca) se spécialise dans la réalisation d’analyse des coûts du cycle de vie et d’analyse du cycle de vie. Elle offre également du coaching, de la formation et de l’accompagnement dans la communication des résultats.
Le coût minimum d’une analyse du cycle de vie simple, une démarche d’une centaine d’heures, s’établit aux environs de 15 000 dollars. Une analyse du cycle de vie détaillée peut quant à elle coûter 100 000 dollars et s’échelonner sur plus de quatre mois. Pour l’ACV d’un bâtiment, les coûts sont similaires.